"LE MONDE ENCHANTE, ENCHANTEUR DE JACQUES DEMY" !!!!
Ne vous y trompez pas, sous le couvert d'oeuvres cinématographiques musicales - prédominantes dans l'exécution du cinéaste Jacques Demy - joyeuses et colorées se nichent des univers plus sombres : il faut juste prendre le temps nécessaire d'une relecture pour analyser la véritable vision du réalisateur français.
Né en 1931 dans une famille dont le père est garagiste et la mère au foyer (ancienne coiffeuse), le petit Jacques Demy évolue dans un univers de spectacles, grande passion de ses parents : cinéma, opéra, opérettes. Fasciné par ce monde artistique, le futur cinéaste tombe en amour pour les théâtres de marionnettes, dévore les revues de cinéma, entre autre l'Ecran Français et fréquente le ciné-club de Nantes; la cinéphilie rentre dans sa vie. Après des études - un peu contraint forcé par un père qui ne désire pas que son fils entame un parcours plus long - primaires et une entrée au collège, Jacques Demy, en enfant docile, obtient un Brevet d'Etudes Industrielles et un CAP de garagiste alors qu'il ne s'intéresse qu'aux lettres et au dessin. Pendant tout son temps libre, le jeune homme fréquente l'Ecole des Beaux-Arts de Nantes et y fait des rencontres importantes dont sa future costumière pour la plupart de ses films. A la fin de ses études secondaires, son père le pousse finalement dans la voie du "cinéma".
Grâce à l'aide d'un autre grand réalisateur français Christian-Jacque (Fanfan la Tulipe, les Disparus de St-Agil, Nana etc....) en 1949, Demy part suivre des cours de cinéma et de photographie. Après la réalisation d'un premier cours-métrage, il veut se diriger dans le cinéma d'animation et réalise quelques spots publicitaires où il anime des boites de pâtes Lusctucru. L'imaginaire foisonnant de Demy se met en place. Proche de la nouvelle vague, il réalise un premier film "Lola" en 1959 avec un budget restreint et signe sa première collaboration avec le compositeur français Michel Legrand. Les deux compères se retrouveront pour les plus grandes comédies musicales françaises à venir ! Pas encore reconnu comme vrai cinéaste, il participe (tout de même) à la réalisation des "Sept Péchés capitaux", en collaboration avec d'autres grands directeurs comme Godard, de Broca, Chabrol, Vadim, Moulinaro..... Présenté en sketches (une forme de cinéma très prisée dans les années 60), Jacques Demy exécute la Luxure.
S'enchaîneront par la suite "La Baie des Anges", "Les Parapluies de Cherbourg", "Les Demoiselles de Rochefort". En 1966, sous l'invitation de Gene Kelly - que l'on ne présente plus - Le cinéaste part vivre aux Etat-Unis (une durée de deux ans), livre sa vision européenne du pays de l'Oncle Sam en s'attachant à son nouveau projet "Model Shop"; sorti à New York et non-doublé, le long-métrage ne rencontre pas son public. Déçu, Demy rentre à Paris et se lance dans la réalisation de "Peau d'âne" (1970). En 1973 sort "L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune" avec Marcello Mastrioani et de nouveau Catherine Deneuve, actrice fétiche du réalisateur depuis les Parapluies de Cherbourg : fable atypique où un mari tombe "enceinte" ! Il faudra attendre les années 80 pour retrouver le nom de Demy sur l'affiche avec "Une chambre en Ville" où le réalisateur renoue avec le cinéma "chanté", hommage à ses célébrissimes Parapluies ! De sa collaboration avec le grand Yves Montand naîtra " Trois places pour le 26" (en 1988) : le film recevra un accueil mitigé (A voir tout de même). Plusieurs projets avorteront, le cinéaste français décède le 27 octobre 1990 des suites d'un cancer.
Epoux de Agnès Varda (la réalisatrice, photographe et plasticienne) Jacques Demy est le seul cinéaste français à avoir su délivrer le film "chanté" et "parlé", à l'image des comédies musicales américaines. Nombre de spectateurs(ices) ont qualifié - encore à ce jour - les films du cinéaste de puérils, il n'en est rien : plusieurs thèmes dramatiques, chers à Demy, prédominent comme les histoires d'amour malheureuses (à l'image des Parapluies de Cherbourg), l'inceste (thème récurrent) dans "Peau d'âne" - j'y reviendrai dans ma critique - pour "Trois places pour le 26" et "Une chambre en ville"; ainsi que la bisexualité dans "Lady Oscar" (film que je n'ai pas encore vu), plus au moins abordée dans la comédie loufoque avec Mastrioani "L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune". Des sujets, au final, très sérieux d'un réalisateur ultra-sensible et rigoureux dans son entreprise. (Wiki, Cinémathèque française, Evène)
Irremplaçable, cet enchanteur du cinéma français laisse derrière lui un bel héritage cinématographique. Tous(tes) les cinéphiles ont un film fétiche, le mien (inavoué) reste "Peau d'âne" : merveille féerique où toute la magie puis la maestria de Jacques Demy et de Michel Legrand ont ébloui mes mirettes et ont nourri les rêves de mon enfance !!!!
"Je préfère idéaliser le réel, sinon pourquoi aller au cinéma ?"
FILMOGRAPHIE SELECTIVE
"Peau d'âne" a été réalisé par Jacques Demy. Sortie en salle le 20 décembre 1970.
La reine moribonde a fait promettre au roi de n'épouser qu'une femme plus belle qu'elle. Dans tout le royaume, une seule personne peut se prévaloir d'une telle beauté, sa propre fille. Revêtue d'une peau d'âne, la princesse désespérée s'enfuit du château familial.
"Il était une fois un Roi, le plus grand qui fût sur la Terre, Aimable en paix, Terrible en guerre, Seul enfin comparable à soi...." Ainsi commence le conte de Charles Perrault : curieuse légende d'un souverain dont l'épouse mourante lui fait promettre de prendre pour nouvelle conjointe une femme plus belle qu'elle. N'ayant trouvé aucune beauté à la ronde, le Roi décide d'embrasser en secondes noces sa fille, délicate aphrodite.
Au-delà de l'imaginaire enfantin, l'inceste demeure le thème central du conte de Perrault que les psychanalystes appelleront, plus tard, le complexe d'Electre (concept théorique de Carl Gustav Jung - psychiatre et psychologue suisse - qui nomma ce complexe en référence à une héroïne grecque qui vengea son père en assassinant sa mère. En apposition avec le complexe d'Oedipe que Freud n'appliquera que pour le sexe masculin. Jung voulait utiliser ce terme pour les deux sexes mais au regard du célèbre médecin neurologue autrichien, il ne pouvait exister de loi de "la mère"). Les analystes souligneront que la "salissure" (immorale du Roi) faîte à la jeune princesse se matérialise en une peau d'âne.
Du célèbre conte où les jeunes filles (rêves inassouvis) ne peuvent épouser leurs pères, Jacques Demy s'approprie la fable de Charles Perrault; la revisite à sa propre fantaisie, au travers d'un film parlé et chanté. Mais comme dans tous ses autres long-métrages musicaux (énumérés dans sa bio) le désir incestueux reste une thématique qui interpelle le cinéaste français. Alliant le fantastique et le féerique (hommage au cinéma de Cocteau d'où la présence de Jean Marais, ainsi qu'aux comédies musicales américaines) le Peau d'âne de Demy se veut enchanteur, enchanté, éclectique, limite poussif mais en rien naïf ! Il m'aura fallu attendre l'âge de raison pour comprendre l'intelligente analyse du réalisateur français et l'essence du conte de Perrault : A la fois sombre et poétique où l'envie immorale d'un père prendra fin lorsque qu'un Prince charmant croisera le chemin de la jolie Peau d'âne.
L'esthétisme demeure - lui-aussi - une des priorités de Jacques Demy. Son oeuvre cinématographique "colorée" se pare d'une luxuriante beauté : les décors, les costumes, les lieux, tout est majestueux jusqu'à la musique (et les paroles) du grand Michel Legrand se mêlant à la magnificence de Demy, en rappel de la fameuse chanson du Cake d'Amour - bien que connaissant les paroles par coeur, je ne m'aventurerai pas à pousser la chansonnette - :) Catherine Deneuve, figure emblématique du cinéma du cinéaste, accompagne une nouvelle fois l'entreprise de ce dernier. De son visage cristallin, elle apporte la touche nécessaire à la mécanique enchanteresse du long-métrage : Lyrisme ô combien irréel à l'image des robes couleur du temps de Melle Deneuve !
Derrière la candeur évidente de Jacques Demy se cachait des émotions emplies de douceur, de tristesse, de nostalgie, d'euphorie mais aussi de noirceur. "Peau d'âne" demeure MON film référence du cinéaste français : illustre magicien du merveilleux, formidable conteur "filmique" pour un nombre de génération; hanté (tout de même) par le caractère ambigu et obscur de l'âme humaine !!!!
"Pourquoi Peau d’âne ?
Parce qu’une Princesse refuse d’épouser son père. Parce qu’un âne fait bêtement des crottes d’or. Parce qu’une rose qui parle vous regarde toujours dans les yeux. Parce qu’une fée tombe amoureuse et que cela ne se fait pas. Parce qu’un Prince a su rester charmant. Parce qu’enfin cette histoire de doigt et d’anneau, de vous à moi, c’est fort curieux. Il faut en avoir le cœur net. C’est pour cela qu’il faut que Peau d’âne nous soit conté."