Dernier bijou du cinéaste japonais Hayao Miyasaki, "Le Vent se lève" invite le spectateur à embrasser la "toile" cinéphilique qui a empli son oeuvre, et sa vision des personnages de cinéma.
Au travers du parcours de Jiro Horikoshi/ingénieur pour l'aviation japonaise, Miyasaki convoque l'intelligence d'un jeune homme - dans l'impossibilité de devenir aviateur (en raison de problème de vue) créant des modèles d'aéroplanes - mais aussi un certain Japon. Film anti-patriotique pour un nombre de nippons, mise à l'honneur d'un concepteur d'engins meurtriers, responsable indirect de la mort de milliers de personnes pendant la Seconde Guerre Mondiale, ancré entre les grands bouleversements historiques des années 20 (séisme de Kanto, la grande dépression, la propagation de la tuberculose), l'oeuvre filmique retrace la vie de ce jeune homme au gré des vents houleux emportés par l'Histoire. De ce doux rêveur, voulant s'isoler d'un univers sombre SEULE une âme féminine , prénommée Nahoko, trouvera grâce à ses yeux, au-delà de sa passion dévorante pour l'aéronautique car L'AVION demeure l'extension "symbolique" du corps/psyché de Jiro. L'objet d'acier s'humanise (tout du long), devenant une autre expression "ondoyante" et "envolée" du mythe d'Icare : introspection faite dans le MOI du "héros" pour montrer sa vision unique du monde. le cinéaste utilise cet élément volant pour créer dans l'univers mental de Jiro, une puissance de contrôle et de mémoire : le jeune homme ne rêve pas, il vit en tant que spectateur/acteur, l'approche d'un état fantastique lui étant impossible car Miyasaki ne cherche plus à l'utiliser, voulant cristalliser les maux en les révélant. De ce fait, son personnage avance, n'oublie rien et vit chaque ressenti/nivellement de sa pensée. Ses rêves/prédictions/songes divinatoires s'analysent telle une allégorie s'opposant à la psychanalyse qui traite les songes comme étant une fulgurance du passé, et non d'un avenir possible. Miyazaki dessine, ainsi, l'ironie de la vie d'un être désirant vivre de ses rêves aux dépens des autres, et fait perdurer une représentation sensible d'un objet "mobile" comme métamorphose du MOI de Jiro : Vivant dans un contexte socio-historique lourd où le JE existe dans un souci "machinique" de productibilité , et perd son AURA de simple être vivant, le jeune homme est plongé dans un genre de cinéma qu'est le Shomingeki. Evoquer ce Théâtre populaire pour Miyasaki, c'est introduire dans "Le Vent se Lève" l'ombre du cinéaste Yasujiro Ozu. Référence obligatoire, fondée sur la présence de véhicules dont Ozu savait manier le SYMBOLISME dans l'inconscient de ses personnages pour les "installer" dans un cinéma du quotidien, en regard avec l'un de ses plus illustres long-métrages " Voyage à Tokyo". De ce Voyage, une machine de fer LE TRAIN possède une dimension de vieillesse, ironisé par la parole des protagonistes LES PARENTS AGES, évoquant le brassage des grandes distances en peu de temps, ajoutant à la sensation de séparation qu'ils vivent avec leur enfant plongé dans la modernité. Miyazaki récupère ces moments de "pérambulations" pour illustrer son propos. LE TRAIN autre composant mécanique - omniprésent - dernière escale du cinéaste japonais, n'opposant pas seulement une dualité technique ou prédiction de l'avenir industriel du Japon mais renfermant aussi une personnification.
La locomotive incarne la rencontre de Jiro avec Nahoko, jeune femme après qui il court comme un autre idéal de réussite. Il tombe amoureux dans ce "coucou" où une rafale de vent "souffle" son chapeau, rattrapé in-extremis par sa BELLE. Ils partagent dès lors ces mêmes mots "Le vent se lève, il faut tenter de vivre", citation du poème de Paul Valéry. (Re) contextualisé dans le rêve, l'aviation devient le désir égoïste de Jiro, lui permettant de vivre malgré le danger de mort que symbolise l'ingénierie. Le train, quant à lui, interprète la passion amoureuse là où elle est née, détournant le héros de son avancée solitaire. Partagé entre amour et passion, le jeune homme devient le COEUR de l'exécution de Miyazaki. Inspiré par la vie personnelle du cinéaste, son héros est à la fois l'ingénieur Jiro Horikochi (concepteur du célèbre chasseur-bombardier "Zéro" dont la désignation officielle reste le Mitsubishi A5M) et Tatshuo Hori, auteur japonais ayant écrit une autobiographie "Le vent se lève" MODELE de la relation entre Jiro et Nahoko. Personnalité double, le JE est multiple, et n'est pas dans la contradiction mais dans l'addition de deux êtres, deux vies qui prendront, chacune, le temps de coextister au coeur du souffle qui se lève.
VENT soulevant des avions, VENT envolant le chapeau de Jiro pour être récupérer par Hahoko, VENT existant dans les vers de Valéry, VENT balayant le parasol de Nahoko, VENT entraînant la mort de Nahoko, VENT assassinant un Japon, VENT faisant de Miyasaki, le cinéaste aux arlequins "aériens", digne créateur du studio GHIBLI : VENT chaud/violent du Sahara.
Avec "Le vent se lève", Hayao Miyazaki ne souhaite plus delivrer un genre de REVE mais révéler un cinéma "conscient" en permanence pour lier, au drame, toutes les motivations prégnantes dans les chimères de sa filmographie : Jiro a beau courir après ses rêves, le temps passe, la mort est inévitable, il faut continuer. L'exécution se clôt sur une note triste mais se veut optimiste à l'image de la plus belle scène - jeu de miroir déformé - où le sauvetage du chapeau de Jiro par Nahoko s'inverse par celui du parasol par Jiro, tous deux liés au vent, cherchant, au travers d'un cadre bucolique/tendre, retrouver l'essence du "Cimetière Marin" de Valéry, et faisant de cette ultime oeuvre filmique LE CHEF D'OEUVRE désenchanté, mélancolique et poétique d'un naturaliste, trouvant refuge et bonheur dans sa création...tout comme son héros !!!!
Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre !
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs !
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs ! (Cimetière Marin - Paul Valéry)