"Artistes, jamais le moment ne fut plus beau. Rien ne gêne maintenant votre envergure, votre ambition, votre désir d'être célèbre et reconnu... Nagez à plein vol dans l'azur et la lumière , inondez-vous de rayons, enivrez-vous d'air pur, montez comme l'alouette, comme l'épervier, comme l'aigle, plus haut, toujours plus haut..." (Théophile Gautier - 1848)...Plus dure sera la chute, et Michael Keaton n'est sûrement pas CE "fruit" (cet oiseau tombé du nid) du hasard. En le choisissant, Alejandro Gonzalez Inarritu convoque le passif d'un acteur en quête d'un renouveau VIA son nouveau long-métrage BIRDMAN ! Riggan Thomson/Birdman, ancienne star d'Hollywood déchue : troublant portrait/double d'un Keaton/Batman ! Et bien que le cinéaste s'évertue - non sans une pointe d'humour et de tendresse - à dégommer pendant deux heures LA machine industrielle hollywoodienne, celle-ci va l'honorer de quelques précieuses statuettes. Comme à la cour, le Roi se plaît à être moqué/flatté par son FOU/Inarritu... et ses fidèles saltimbanques : délectable moment d'auto-flagellation !
Dans les années 80/90 Michael Keaton incarne - en deux films - l'un des super-héros mythiques BATMAN mais le Chevalier Noir aura raison de sa carrière ou presque. En s'appropriant la vie du comédien américain, le cinéaste mexicain Inarritu dresse le portrait d'une ancienne gloire vieillissante - à l'égocentrisme boursouflé - Riggan Thomson qui tente de retrouver le succès en montant une pièce de théâtre à Broadway. Riggan/Keaton est l'un de ces produits de "fiction" que le grand public aime à vénérer puis rejeter, ne laissant aucune chance au dit acteur d'exister au-delà. Il est facile pour les fans "envahissants" de confondre l'homme et l'image iconique. Birdman laisse SON empreinte indélèbile, hante, ronge l'esprit de l'artiste. La réalité flirtant aux frontières de l'irréel, l'Homme/Oiseau maintient son Riggan dans cette schizophrénie devenue sienne. D'un ART où il rêve d'y trouver une ardeur artistique, d'un Art qui crée CE désespoir et CE désarroi, le saltimbanque va se confronter à ce réel/imaginaire qui le consume, à cette VOIX intérieure lui rappelant (sans cesse) les ratés de son insignifiante existence, aux nouveaux visages (à l'image, entre autre, d'un Mike Shinner/Edward Norton, acteur idyllique, fourbe, calculateur ) qui tout comme lui par le passé, s'inondent, s'enivrent jusqu'à plus soif de cet HALO DE LUMIERE ô combien charmeur mais ô combien destructeur.
Ce petit cirque d'une vie insipide, véritable labyrinthe d'un crâne malade, fait écho à la satire "assassine" d'Inarritu. Et si l'accusation d'un milieu nombriliste, égocentrique, nihiliste VIA son public contaminé par la SOUPE indigeste hollywoodienne paraît évidente, son Birdman se pare d'une mélancolie et d'une bienveillance pour un métier qu'il affectionne. Riggan/Keaton devient la (sa) "marionnette" désespérée mais aussi la LUTTE de son MOI intérieur, pointant du doigt ses combats, ses questionnements, ses rapports/conflits avec le cinéma. Comment peut-on vivre ou même survivre dans un tel univers, broyeur de talents ? La réflexion d'Inarritu s'étend plus loin : si une certaine presse intello "frustrée" est (elle-aussi) mise au banc de l'accusé, après avoir lu quelques extraits d'interviews du cinéaste (que je vais joindre plus bas), ce dernier ne mâche pas ses mots envers le BLOCKBUSTER - principale CIBLE - au risque de se mettre à dos le grand public ! Tout comme Keaton, le choix de Edward Norton ( "Hulk") ou de Emma Stone ("Spiderman") n'est pas anodin, et rares sont les occasions d'offrir un tel sujet scénaristique à des comédiens : le spectateur devenant le témoin/complice de cette auto-parodie et du regard lucide d'un directeur dénonçant le LOUP dans la bergerie "sycophante" hollywoodienne !
Sous couvert de l'adaptation d'une nouvelle de Raymond Carver "Parlez-moi d'amour" mettant en scène des couples abîmés et usés par une société "dévastatrice" américaine (pour avoir lu quelques courts extraits), Inarritu met en exergue le DESENCHANTEMENT d'un homme/artiste. A l'image des protagonistes de Carver, les personnages du cinéaste mexicain incarnent LA REPRESENTATION de cette désespérance. Justement parler lui d'AMOUR, comme le précise Alejandro Inarritu JE LE CITE "Toute sa vie durant, Riggan a confondu l'amour et l'admiration. Et il doit d'abord réaliser combien l'admiration est insignifiante avant de commencer péniblement à apprendre à aimer les autres et surtout à s'aimer lui-même." Comme la majeure partie des acteurs, Riggan ne s'apprécie pas et questionne (désespérément) ce FEU. Apprendre à s'aimer reste l'ancrage essentiel. Il est plus que nécessaire de retrouver cette estime de soi dans la perspective de donner pour mieux recevoir en retour. Cette reconstruction personnelle permet de se réconcilier avec sa propre image, ses défauts et accepter l'histoire de sa vie (ses erreurs de parcours) afin d'exister à nouveau. Dans l'attente de cette renaissance, le vieil acteur souhaite retrouver l'amour d'une fille/victime de son ambition démesurée, d'une femme, d'un public, et les honneurs d'un milieu - amoureux des LETTRES - le THEATRE mais tiraillé entre son passif de tartuffe prétentieux à la solde des films de divertissements et son désir de devenir le DIGNE comédien auquel il aspire, Riggan court, court toujours plus dans les dédales du petit boulevard, dans les méandres labyrinthiques de son psyché; Ses foulées rythmées aux sons balancés des percussions d'une batterie répétitive, inquiétante ! De ce besoin éperdu de RECONNAISSANCE, Inarritu souligne - en permanence - l'errance de son Riggan : Le blockbuster a tué son HEROS, le salut viendra des planches ! Les projecteurs du théâtre s'allument, le rideau se lève et le comédien exécute un dernier "acte" : celui qu'un public, une presse hypocrite sollicitent. Le rideau tombe "La vie est une vaste farce". Birdman/riggan s'élève à sa nouvelle destinée ! D'un suicide prévisible, tel Dédale regardant son Icare/Riggan prendre son envolée, Sam/Emma Stone demeure le seul témoin d'un ultime envol. La légende d'Icare symbolise ce désir que l'homme a de vouloir (toujours) aller plus loin, au risque de devoir se retrouver face à face à sa condition de simple être humain. Si le jeune Icare brûle ses ailes, j'aime à penser que Riggan est devenu ce BIRDMAN volant au-delà du soleil, au-delà d'un univers fallacieux.
Alejandro Gonzalez Inarritu voit en son Birdman un DON QUICHOTTE. Il explique JE LE CITE " Riggan est une sorte de Don Quichotte. L'humour du film naît du décalage permanent entre sa très sérieuse ambition et la sordide réalité qui l'entoure. En fait, c'est notre histoire à tous." Tel le rêveur idéaliste et irraisonné de la "Mancha", nous nous battons tous contre des moulins à vent et ce BIRDMAN, niché derrière la satire de son directeur, convoque bel et bien l'universalité. Oscillant entre prouesses techniques (un faux long plan-séquence/pour la petite histoire : Inarritu réalisera par trois fois le "brouillon" de son film pour en exécuter la vision finale), cynisme acéré, énergie bouillonnante, désillusions, jeux de dupes, vérités, maestria des comédiens - en tête Michael Keaton et le génialisme Edward Norton - visions métaphysiques "oniriques", le cinéaste mexicain continue son voyage existentiel, sa propre introspection et celle de son comédien principal Michael Keaton.
Après le chef-d'oeuvre chimérique BIUTIFUL d'un père en chute libre, l'illusionniste virtuose "désabusé" déclame son affection pour le 7ème Art, et à l'image d'un Raymond Carver "De quoi on parle quand on parle d'amour?" Alejandro Gonzalez Inarritu parle d'AMOUR et son BIRDMAN ??? Enfin libéré l'homme/oiseau, le battant de sa CAGE grand ouvert, tel le phénix ressuscitant de ses cendres : "il est LIBRE Max/Riggan, y'en a même qui l'on vu voler"...Si seulement nous pouvions en faire autant. MERCI MONSIEUR INARRITU !!!!