"Les hommes sont toujours sincères, ils changent de sincérité, voilà tout" (Paul Tristant Bernard"). Quelle excellente citation qui sied à merveille au personnage de John/Colin Farrell qui n'aura de cesse de jouer de cette sincérité changeante pour mieux piéger (et se faire piéger) celle par qui le drame arrive : Miss Julie.
Liv Ullmann avait le désir, il y a quelques années de pouvoir interpréter la célèbre Mademoiselle Julie de l'écrivain (dramaturge et peintre) suédois August Strindberg, au final la célèbre muse du célébrissime cinéaste Bergman se retrouve derrière la caméra, offrant les traits de cette demoiselle - perdue dans les tourments d'une existence privilégiée qui l'oppresse - à une Jessica Chastain au teint diaphane, et au diapason de son Art. Il est toujours très difficile de transposer le 6ème Art au 7ème Art, sans recevoir les foudres de certains(es) cinéphiles peu enclins à se laisser porter par ce genre filmique, jugé trop statique pour le grand écran. Pour ma part, le pari est plus que réussi : Liv Ullmann délivre une oeuvre fiévreuse, emplie de sentiments exacerbés où toutes les complexités hommes/femmes se déchaînent, se font face puis s'affrontent. Tour à tour dominé/dominant, au cours d'une nuit, deux êtres que tout oppose, rêvant d'une vie pour laquelle ils ne seront jamais destinés - sur le regard passif d'une troisième protagoniste, la cuisinière et fiancée de John, Kathleen/Samantha Morton, parfaite - de par leur condition sociale, leur éducation, ne pourront éviter l'inévitable : au jeu de la séduction/répulsion, Melle Julie y perdra ses ailes.
Comme je l'avais précisé dans la news sur Miss Julie, étant totalement hermétique (oui, j'ose l'avouer) au cinéma de Bergman http://christianbalefan.over-blog.com/2014/07/jessica-chastain-la-julie-de-liv-ullmann.html, j'avais très peur de ne pouvoir adhérer à l'entreprise de son égérie Liv Ullmann, et bien que l'ombre du cinéaste plane la majeure partie du temps dans l'oeuvre cinématographique de cette dernière, la réalisatrice se démarque par sa propre personnalité plus ardente, plus passionnée; n'ayant crainte de laisser exploser toutes les émotions, à l'instar d'un Bergman dont l'expression (les conflits) de l'âme humaine se murait dans de longs silences (certes parlants) mais trop silencieux !
Bien que présentée tout au début du récit comme un être fragile au comportement étrange : Miss Julie/Jessica Chastain boit, danse, se mélange avec ses "petites" gens, espérant se libérer de son "riche" carcan; mais en en fait, la Belle est une jeune femme fascinée par la mort depuis l'enfance : un romanesque morbide - privilège des nobles - dont elle se nourrie. Manipulant son petit monde, elle se retrouve face à John/Colin Farrell, un valet souffrant de sa condition de domestique, animé par un désir de réussite, assoiffé de vie, qui voit en sa maîtresse LA SOLUTION à ses vils objectifs. Tout aussi escamoteur que sa DAMOISELLE, il se jouera de la crédulité et du fantasque de cette dernière pour la séduire : conquise, Miss Julie s'offre à son valet, le piège se referme.
De ce huit-clos étouffant où Liv Ullmann offre quelques superbes parenthèses champêtres, son oeuvre livre une réalisation tout en sobriété, un affrontement verbal à la cruelle beauté, et le verbe trouve son excellence dans un récit portée par le talent des deux acteurs principaux : magnifique parité homme/femme, cruellement absente depuis quelques années au cinéma. Colin Farrell trouve ici son plus beau rôle : une composition impressionnante mais difficile, car bien que présenté sous les traits d'un homme terriblement ambitieux, il n'en demeure pas moins prisonnier d'un passé douloureux, de ses propres questionnements et ressentis. Son visage épouse diverses expressions, présentant un être bipolaire dont le retour du Maître de l'imposante demeure, scellera son avenir, tout comme celui de Julie/ Jessica Chastain. Si sa première véritable interprétation dans "Tree Of Life" de Terrence Malick, la comédienne laissait déjà apparaître les prémices d'une future grande tragédienne, Miss Julie la révèle totalement. Depuis ce début d'année, j'ai, tour à tour, vu la plupart des interprétations des plus importantes actrices actuelles, que ce soit Cate Blanchett désoeuvrée pour "Blue Jasmine", Julianne Moore détonante pour le dernier Cronenberg, Amy Adams (bien que parfaite) pour le surestimé (et insupportable) "Américan Hustle", Marion Cotillard - pour ma part - toujours aussi médiocre, Tilda Swinton décalée et étonnante " The Grand Budapest Hotel", Eva Green trop invisible, dommage "Salvation", Charlotte Gainsbourg excellente "Nymphomaniac", Scarlett Johansson délicieusement amusante "Her", Angélina Jolie "Maléfique", elle , une comédienne ????, Sandra Bullock dans l'espace, toujours aussi agaçante. Résultat : Jessica Chastain les bat toutes à plat couture. Au travers de cette comtesse, elle sublime l'oeuvre de Ullmann, déploie une palette d'émotions : de sa haine pour les hommes entretenue par sa défunte mère, aux frontières de la démence, prête à la soumission totale jusqu'à son inéluctable acceptation; à l'image d'une scène où son gracile visage ensanglantée se pare d'une blancheur maladive, témoin de la perte d'un vain et illusoire pouvoir qu'elle croyait détenir. La présence et la qualité du jeu de la comédienne électrise le long-métrage (et le public) de Liv Ullmann.
Jugée à l'époque très subversive de par son propos - la lutte des classes dont l'espoir des individus à vouloir à tout prix fuir une certaine condition sociale, soit-elle pauvre ou riche - la pièce de théâtre du dramaturge suédois Strindberg dépeignait tous les sentiments de l'être humain aux prises avec les convenances (religion, sexe, éducation, milieu) faisant de son propos - au travers du portait virulent et violent d'un homme du peuple et d'une jeune comtesse - une analyse pessimiste où la domination, le pouvoir, l'orgueil, la solitude, la mort puis le mépris de l'autre régnaient en maître.
Liv Ullmann magnifie à l'écran ce tragique récit, le spectateur se laisse emporter dans ce monde d'un autre temps où les contradictions, les faux-semblants, les revirements d'humeur, les fausses/vraies vérités, les réflexions, les désirs de ces deux êtres maintiennent le suspens. Mais à y regarder de plus près, rien n'a véritablement changé de nos jour ; un thème intemporel où l'être humain fantasme toujours et encore sur des chimères qui demeurent, pour la plupart, pures illusions : Quoique que l'on désire, que l'on espère, personne - tout comme Miss Julie et John - n'échappe vraiment à son destin !!!!