Octave Mirbeau - né en 1848 - après une enfance difficile, part à Paris en 1871 pour devenir le secrétaire particulier d'un Maréchal. Pendant 14 ans, il sera un domestique ou nègre. Délaissé par sa femme, humilié de n'être qu'un serviteur, il change radicalement de vie, prend la plume pour décriéer les causes justes et vraies. Ses oeuvres, au départ autobiographiques, comme "Le Calvaire" en 1886, dépeignent la face noire de la société. Il fustige les nationalistes, les antisémites dans de nombreux quotidiens. Avec "L'Affaire Dreyfus", Mirbeau trouve une vraie raison d'écrire, se lance dans la défense du soldat, collaborant avec son ami Zola. Il triomphe en 1903 avec la pièce de théâtre "Les Affaires sont les affaires". Devenu riche, l'écrivain délaissera l'écriture. La maladie, la guerre de 14 le désolent, il meurt le jour de son anniversaire, le 16 février 1917.
"Le ridicule n'existe pas : ceux qui osèrent le braver en face conquirent le monde". Octave Mirbeau.
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"Un voyage au bout de l'enfer pour un européen..."
La douleur, la haine, la violence, l'horreur se font "plume" dans un ouvrage ô combien critiqué, redouté ou rejeté : LE JARDIN DES SUPPLICES.
Ode macabre à la torture, l'oeuvre de Mirbeau démarre d'un pas lent mais certain, vers l'ignominie, débutant sous les beaux jours d'un parisien bobo en mal de sa personne. Le récit nous entraine dans un exotisme morbide, suite à l'exil du narrateur. Lors de sa traversée, le jeune européen, naïf, fait la connaissance d'une plantureuse, mystérieuse anglaise. Celle-ci l'emmène de l'autre côté du miroir, en Chine où amour, sensualité et beauté s'enlacent et se muent dans la luxure puis la mort. Le bagne du Jardin des Supplices devient la représentation physique d'un purgatoire terrestre, flambeau d'un art en déroute : LA TORTURE. Ce jardin nourrit de chair et de sang, dévoile sa splendeur malsaine où les résidents - bourreaux et suppliciés à la fois - exposent les visages scandés de folie, les corps martyrisés et déchiquetés par le regard et les coups de ces "bons pensants colonialistes", à la recherche d'une raison de vivre dans la mort. Le lecteur suit, à ses dépends, les longs couloirs imprégnés de rouge, de graisse et de hurlements; images inconcevables, surenchère de violence : l'auteur crache sur le papier, exhorte ses cauchemars frénétiques et nous empoisonne, nous chavire dans un tourbillon de véhémence. Au comble de cette "escalade", nous sommes seuls face à nous-mêmes, civilisation jouissant des maux du monde, âme à la recherche d'une limite, d'un seuil, jamais rassasiée, toujours en perpétuelle demande, tel un jardin d'une splendeur chaleureuse, dérangeante, fruit des années de supplices et de lamentations.
Oeuvre où les mots volent, dansent dans un manège patibulaire, pour devenir divisibles du texte et se retrouver, violemment, rattrapés par Mirbeau. Torpeur de la raison, des sens, du désir, de la cruauté, Le Jardin des supplices est le reflet amère et réaliste d'une humanité se complaisant dans l'abomination pour mieux aimer, vivre et partager. Une lecture difficile, complexe et foncièrement pessimiste !!!
EXTRAITS
" Pas des sauvages ?... Et que sommes-nous d'autre, je vous prie ?... Nous sommes des sauvages pires que ceux de l'Australie, puisque, ayant conscience de notre sauvagerie, nous y persistons... Et, puisque c'est par la guerre, c'est à dire par le vol, le pillage et le massacre, que nous entendons gouverner, commercer, régler nos différends, venger notre honneur... Eh bien, nous n'avons qu'à supporter les inconvénients de cet état de brutalité où nous voulons nous maintenir quand même... Nous sommes des brutes, soit !.... Agissons en brutes !...
"Le col serré dans un carcan si large qu'il était impossible de voir les corps, on eût dit d'effrayantes, de vivantes têtes décapitées, posées sur des tables. Accroupis parmi leurs ordures, les mains et les pieds enchaînés, ils ne pouvaient s'étendre, ni se coucher, ni jamais se reposer. Le moindre mouvement, en déplaçant le carcan autour de leur gorge à vif et de leur nuque saignante, leur faisait pousser des hurlements de souffrance, auxquels se mêlaient d'atroces insultes pour nous et des supplications aux Dieux, tour à tour."
"Effrayés par le claquement du fouet, les paons poussèrent des cris, battirent des ailes. Il eut, parmi eux, comme un tumulte de fuite... Une bousculade tourbillonnante, une déroute de panique. Puis, peu à peu rassurés, ils revinrent, un à un, couple par couple, groupe par groupe, reprendre leur place sous l'arche en fleurs, gonflant d'avantage la splendeur de leur gorge et dardant sur la scène de mort de plus féroces regards..."
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