"OSHIMA LE TRANSGRESSEUR" !!!!
Lorsque l'on prononce le nom du réalisateur Nagisa Oshima, l'on associe immédiatement le grand cinéaste japonais à l'un des long-métrages les plus transgressifs du 7ème Art "L'empire des sens". J'aurai attendu quelques années pour le voir mais la découverte de ce long-métrage a changé à bien des égards ma vision de cinéphile. Depuis, j'ai pu visionner d'autres oeuvres cinématographiques du cinéaste japonais mais il me manque encore une partie de sa fructueuse filmographie d'où ma sélection mis en page plus bas.
Nagisa Oshima est l'une des premières têtes de proue de la nouvelle vague japonaise (qu'il rejettera tout le long de sa longue carrière avec véhémence, ne voulant être associé à de quelconques affiliations). Né en 1932, le futur cinéaste décide - après avoir réussi des études de droit et de politique - de se lancer dans la réalisation, après avoir vu "Le Jardin des femmes" de Keisuke Kinoshita. Il tourne son premier film "Une ville d'amour et d'espoir" en 1959 mais ceux sont deux autres long-métrages qui lui vaut sa première reconnaissance dont " Contes cruels de la jeunesse" (bouleversants portraits de jeunes japonais à la dérive) cinématographiquement novateur qui le désignera chef de cette nouvelle avant-garde. Utilisant un style très différent, Oshima veut ( avant tout) traiter, quitte à choquer voire scandaliser, des faits de sociétés. Appréciant fortement (comme je l'ai déjà écrit sur d'autres billets) les rebelles et les contestataires, le cinéma du cinéaste japonais est d'une grande richesse, intellectuelle et filmique; tout particulièrement sa vision très personnelle sur les tabous - le sexe entre autre - et la politique : filmant le vrai regard d'un Japon bouillonnant (nous sommes dans les années soixante) alors très censeur. De son combat avec les studios, Oshima l'insoumis, en délivre toute sa colère : il ne filme jamais le ciel et n'utilise pas la couleur verte (du regard du cinéaste :"édulcore" les sentiments, impose une quiétude bienveillante). Le résultat : une ambiance oppressante en réponse à une beauté mêlant subtilement la cruauté et la souffrance; cette dernière, pièce majeure "obsessionnelle" du réalisateur japonais.
En 1961, Nagisa Oshima quitte la compagnie pour laquelle il travaille et crée sa propre maison de production indépendante, ajoutant à sa corde des activités littéraires : ses premières productions personnelles voient le jour. En 1972, de retour d'un festival de Venise - épauler d'un autre producteur - Nagisa Oshima se lance dans la réalisation d'un film érotique " Corrida de l'amour" (L'Empire des sens, titre français). Présenté au Festival de Cannes en 1976, le film obtient rapidement un grand succès dans le monde entier sans en avoir déclenché les foudres des autorités japonaises. Je vais en développé davantage dans ma critique. Suivront "L'Empire de la Passion" en 1978 (film complémentaire au chef-d'oeuvre "L'empire des sens") "Furyo" en 1982 avec David Bowie (le meilleur rôle de l'acteur/chanteur), "Max mon amour" avec Charlotte Rampling en 1986 (fable quelque peu décalée dépeignant les amours d'une femme et d'un chimpanzé) et "Tabous" en 2000, son dernier film (que je n'ai pas encore vu) abordant le thème de l'homosexualité - déjà sous-jacent dans "Furyo" -
En 1999, après la réalisation de "Tabous", Nagisa Oshima affirme son désir de vouloir mettre un terme à sa carrière après un accident vasculaire. Il fait quelques apparitions jusqu'en 2013 où il meurt d'une infection pulmonaire, dans la banlieue de Tokyo, à l'hôpital de Fujisawa. Il laisse derrière lui une cinquantaine de courts-métrages, films et téléfilms. Une très grande voix du 7ème art s'est éteinte; Nagisa Oshima a su insuffler, par sa maestria, une force érotique (et politique) désespérée, dénonciatrice et majestueuse. Pour la cinéphile que je suis, le 7ème art revêt, dans les mains d'un des réalisateurs majeurs de cet artisanat, l'une de ses plus belle formes créatives : fut-elle dure, éclairée et fantasmée !!!!
" L'un de mes thèmes centraux est le monde où l'on peut vivre en restant soi-même, où la vie n'est possible que si l'on devient un autre."
FILMOGRAPHIE SELECTIVE
"L'empire des sens" ( La Corrida de l'amour/Ai no Korrida) a été réalisé en 1972. Sortie en salle en 1976.
Ancienne Geisha, Sada servante dans une auberge de Tokyo, attire l'attention de Kichi, le mari de la patronne. Très vite, les deux amants sont pris d'une passion charnelle dévorante. Cette recherche effrénée du plaisir les conduira jusqu'aux extrémités de leur amour...
"L'empire des sens" est l'un des films les plus controversés du 7ème art dont la sortie en 1976 scandalise le Japon. Les autorités japonaises, en juillet 1976, perquisitionnent les locaux de la maison d'édition San'ichi Shobo et au domicile du cinéaste Nagisa Oshima. le livre "L'empire des sens", comprenant le scénario du film (dont plusieurs photos du plateau) est saisi. L'éditeur Takemura Ajime et Nagisa Oshima, accusés d'obscénité, sont poursuivis par le Parquet. S'en suivra trois longues années de procédure et 23 audiences. Un jugement sera rendu favorable aux deux accusés. Le long-métrage du cinéaste japonais n'a, à ce jour, jamais été exploité dans sa version intégrale au Japon. (extraits : Ecrits de Oshima "Dissolution et jaillisement" 1956-1978 - les cahiers du cinéma - ).
A la question : Quels rapports établissez-vous entre la passion physique, la jouissance née du plaisir sexuel et la mort ?" ...." Un lien indiscossiable, dans l'extase de l'amour, ne s'écrie-t'on pas : je meurs ?" Partant de cette réponse et de sa rencontre (en 1972) avec le producteur français Anatole Dauman (principal financier du futur long-métrage érotique) Nagisa Oshima rentre au Japon et écrit deux scénarios, l'un deux étant l'histoire de Sada Abe. Dauman lui répond rapidement : "Allons-y avec Sada." Tirée de la véritable histoire d'une geisha, devenue servante, (dans les années 30) qui castra et tua son amant, le cinéaste japonais sait pertinemment le poids qui va reposer sur ses épaules. Il écrira : "Le nom de Sada est si populaire au Japon qu'il suffit de le prononcer pour mettre en cause les plus graves tabous sexuels. Il est tout naturel qu'un artiste japonais aime à dédier son oeuvre à cette femme merveilleuse. Grâce à la magnifique collaboration des acteurs et aux moyens fournis par les producteurs, je ne crois pas avoir trahi son image."
Plonger dans les affres "érotique" de la passion amoureuse n'est jamais une mince affaire pour un cinéaste et encore moins pour le spectateur, positionnant ce dernier en voyeur plus que consentant. Mais le traitement est fait de telle manière que le cinéaste évite de tomber dans le piège ( prévisible) de la vulgarité. Adoptant le choix de livrer des scènes de sexes non simulées, Oshima met en scène son personnage central, Sada Abe dans son sensuel et terrifiant voyage au coeur de sa sexualité : une sexualité affirmée, violente dont son amant Kichi devient le jouet - joyeux et triste à la fois - consentant. Plus nous avançons et plus nous nous perdons avec la jeune femme dans sa folie (et sa jalousie) grandissante, dans ses actes sexuels de plus en plus déviants d'où découlera un désir de destruction : la castration (et la strangulation) devenant l'accomplissement de cet amour fou. La manipulation et l'emprise sont les maîtres mots de l'univers psychotique de la jeune servante. Tout doucement, elle libère son amant du monde des vivants pour l'isoler, l'enfoncer dans une non-vie qu'elle a décidé : emplie de jeux (dangereux) sexuels sans fin, de peu de paroles, de sang, de sperme, de rires, de larmes où Kichi en acceptera l'issue fatale, à l'image de sa dernière parole "Que notre plaisir n'en finisse jamais". Dénuée de toute chaleur, l'entreprise de Nagisa Oshima n'en n'est pas moins captivante. De cette fuite en avant, Sada est en recherche de désirs insatiables, d'un amour absolu. L'émasculation étant le seul moyen pour conserver l'objet/symbolique de son obsession dévorante : le pénis de son amant ! désirant à tout jamais garder le phallus de Kichi en elle, pour elle, par peur de le voir se perdre dans d'autres intimités. Et de cette corrida inépuisable de chair et de sang (titre originel Ai no Korrida) Sada Abe en demeure la conquérante heureuse.
Mettre en exergue une telle intimité dévastatrice était le pari un peu fou de Nagisa Oshima, son Empire des sens m'a autant envoûté qu'interpellé, et de la souffrance "affective" qu'est celle de Sada Abe, j'en ai gardé le souvenir de ces estampes japonaises, à la fois belles, sensuelles et crues. Nagisa Oshima se joue d'une pornographie vide de sens pour délivrer une oeuvre érotique troublante; chamboule nos sens et éblouie nos mirettes au travers d'un rêve "pervers" éveillé, à la beauté funeste. A la question d'un journaliste : Pourquoi vos dialogues sont si brefs...en pointillés....dans votre long-métrage ? Le cinéaste japonais répondra "L'acte d'amour n'a pas besoin de mots". Tout comme le sacrifice amoureux de Kichi, tout comme l'ultime geste de la folie amoureuse de Sada : l'amour est, somme toute, une perversion sexuelle comme une autre !!!!
Pour apprécier le long-métrage de Nagisa Oshima, il faut connaître (en amont) la véritable histoire de l'ancienne geisha Sada Abe qui défraya la chronique, dans un Japon militariste des années 30, pour le meurtre de son amant Kichizo.
Sada Abe, né à Tokyo en 1905, aurait été violé dans sa prime jeunesse. Le caractère de la jeune femme change, elle devient incontrôlable. Sa famille décide de l'envoyer dans une maison de Geisha, obligeant la jeune femme à suivre une éducations des plus rigide dont un apprentissage des arts traditionnels. Rebelle, cette dernière attrape une maladie vénérienne et devient prostituée à Osaka. D'un bordel licencié, elle se met à exercer dans l'illégalité et se trouve confronter aux forces de l'ordre. Elle devient la maîtresse d'hommes fortunés et obtient en parallèle un travail de servante dans une auberge. Le mari de la patronne, Kichizo un homme séduisant, fascine la jeune femme. Pour la première fois de sa vie, Sada tombe amoureuse. Devenue amants, le couple passe ses journées à faire l'amour, se faisant mener à boire et à manger. Mais Sada est d'une telle jalousie qu'elle supporte mal, la présence d'autres femmes dont celle de son amant. Elle se munie d'un couteau et menace sans cesse de tuer Kichizo. Elle le veut entièrement. De ses récurrentes scènes de jalousie, Kichizo se moque gentiment de sa fiévreuse maîtresse. De cette dispute, s'ensuivra un marathon sexuel de deux jours où les amants ne cesseront pas de faire l'amour jusqu'à épuisement. Dans une séance d'asphyxie sexuel, Sada fait semblant d'étrangler son partenaire avec la ceinture de son kimono. Ce dernier, appréciant cet acte sexuel lui demande "Etrangle-moi un jour où je dors." Au matin du 18 mai 1936, lors d'un dernier jeu amoureux, l'ancienne geisha étrangle son amant.
Après être restée quelques heures aux côtés du cadavre de son amant, Sada prend un couteau de cuisine puis coupe les organes génitaux de Kichizo. Elle les emballe dans une couverture d'un journal et utilise le sang pour marqué sur la cuisse de son amant : Sada, Kichi ensemble. Elle s'habille, va voir un de ses anciens amants, un politicien très en vue et s'excuse sans que ce dernier comprenne le pourquoi de ces étranges excuses. Sada, sachant, qu'elle vient de briser la carrière politique de l'homme. Elle prend une chambre dans un hôtel et essaye de se suicider, en vain. Le 20 mai 1936, un policier arrête Saba dans sa chambre, les organes génitaux déposés près d'elle. Lors de son arrestation, cette dernière ne cessera d'offrir un radieux sourire. Interrogé sur son acte, elle déclarera : "Je ne pouvais emporter ni sa tête, ni son corps et je désirais garder une partie de lui qui me rappellerait de beaux souvenirs, il était un homme magnifique."
Son procès déclenche de vives émotions. Tout le monde veut voir le visage radieux de cette femme dont découlera d'étranges histoires : Saba est si libre dans ses propos que les juges ont des érections rien qu'en l'écoutant. Sada est si vivante que les gardiens de la prison tombent follement amoureux. Sada est tellement adulée qu'elle évite la peine de mort. Elle est condamnée seulement à 6 ans de prison.
A sa sortie de prison, elle se remet à travailler dans des restaurants et des bars. Tout le monde veut la rencontrer, l'approcher, lui parler. Elle disparaît en 1974 (à l'âge de 70 ans); on ne connaît pas, à ce jour, la date de sa mort. (Wiki, Les histoires d'amour du Japon, Mythes fondateurs et fables contemporaines, Ai no Corrida la vraie histoire)
" Je rêve depuis toujours de confondre rêve et réalité."