"SHAME : ANALYSE D'UNE SEQUENCE" !!!
"Shame" a été réalisé par Steve McQueen. Sortie en salle le 7 décembre 2011.
Plutôt qu'une simple critique et pour offrir un peu de mouvement au blog, voici l'analyse d'une séquence de "Shame".
Avec "Shame" le réalisateur Steve McQueen nous plonge dans la vie de Brandon/Michael Fassbender, jeune cadre célibataire. Son quotidien est dévoré par une seule obsession : le sexe. Tout va se chambouler avec l'arrivée dans l'appartement, de sa soeur Sissy/Carey Mulligan, Brandon aura de plus en plus de mal à dissimuler sa vraie vie. Résumé de la séquence : Après être allé voir, avec son patron/ami, Sissy chanter dans un bar, Brandon raccompagne ce couple d'un soir. Ils décident de prolonger leur nuit dans son appartement, à son grand désarroi. Pour s'échapper, il part faire un jogging dans les rues de New York. A son retour, il change les draps souillés et tente de s'endormir, malgré sa soeur qui insiste pour partager son lit (elle se plaint d'avoir froid). Il l'expluse violemment. A l'aide de cet extrait, Steve McQueen met en scène la perte de contrôle de Brandon sur son espace et son intimité. Dans un premier temps, l'analyse se porte sur l'angoisse traduite par le corps, puis l'importance de la scène du jogging et la finalité sur Brandon et Sissy; deux êtres conflictuels.
A chaque instant du long métrage, le réalisateur tente d'exprimer l'oppression que subit Brandon. Le plan de demi-ensemble sur lui dans le hall des ascenceurs, attendant le retour du "couple", montre une nouvelle fois la violation de son espace intime. Il se retrouve prisonnier dans l'attente, tournant en rond, appuyé par ce cadrage qui l'enferme dans son espace. Quand il pénètre dans son appartement, en hors champ, on peut entendre, sa soeur flirter et commencer à prendre du plaisir. Rien n'est montré et tout se dévoile dans l'imagination, c'est alors que la caméra épaule suit Brandon, en plan rapproché taille, qui déambule dans le salon puis dans la cuisine, le regard rasant le sol. La caméra ne peut que se focaliser sur lui, cachant ce qu'il ne voudrait voir, le décor est alors peu visible. Brandon exulte sans voix, en donnant un coup dans un placard et il se déplace face à la baie vitrée du salon (on retrouve le demi-ensemble). Le reflet de lui-même dans la vitre, à la place de lui offrir une ouverture vers le monde extérieur, le confronte à son malaise et à sa dépendance qui prend forme dans les gémissements de Sissy. Brandon est complétement muré dans sa condition d'addict. Ecroué, il s'effondre par terre, recroquevillé comme un enfant puni ou effrayé, soutenu par une légère plongée qui l'écrase totalement à gauche du cadre. A ce moment, nous sommes en droit de penser que cette affliction révèle une nouvelle strate de sa maladie où l'excitation est envisageable à travers sa soeur. McQueen l'appuie en montrant Brandon se déshabillant soudainement comme emporté d'une frustation trop forte. On le retrouve finalement dans le couloir de l'entrée, en tenue de sport, comprenant qu'il tente de refreiner ses pulsions. Le claquement de porte à son départ coïncide avec le coup précédent dans le placard, l'expression physique prenant le dessus sur une résolution impossible par l'esprit et donc la parole; ceci entraînant l'idée qu'il ne peut résoudre ses problèmes que par l'exultation du corps, amorçant ainsi la scène du jogging.
Le travelling horizontal (droite-gauche) est embrayé par la course de Brandon sortant de son immeuble. Ce plan long dépassant les 2 minutes est accompagné par une musique diégétique (lancé par le mp3 du personnage), nous faisant subir en temps réel sa fuite. Ce morceau de piano n'est autre que le prélude No.10 en E mineur, bwv 855 de Johan Sebastian Bach. Toute son importance est dans la composition de cette oeuvre, comportant ce qu'on appelle une "fugue" où 2 voix se suivent. Ici est alors représenté le passage entre l'angoisse dans l'appartement et la fugue dans les rues de New York. Ces mêmes rues, par la suite, nous semblent bien étranges. Personne ne croisera la route de Brandon; son isolement, se répercutant dans le monde extérieur, renforce une solitude obligée où les seuls citadins visibles sont au fond du cadre et complètement flous; le positionnement entre 2 réalités : celle qu'il ne peut partager avec les autres et celle qu'il aimerait atteindre. Nous pouvons même aller plus loin en disant qu'il change de statut pour devenir un être mécanique par son déplacement rapide, à l'image des voitures qu'il croise, et le rythme qu'il créé dans sa course rappelant la mélodie de Bach. Le travelling s'arrête alors au croisement d'un feu endommagé, proche du sol et ne tenant que par un câble fin. Lui, obligé d'attendre, continue sur place sa fuite mécanique et le feu devient la mise à nue de cet homme essayant de regagner un certain contrôle sur sa vie et sur son corps, qui à tout moment peut chuter dans une addiction morbide où tout ne tient qu'à un fil. Cette pause fige la caméra sur ce cadre et Brandon continue sa fugue en hors champ comme si le réalisateur insistait sur son incapacité à dominer son univers malgré de multiples efforts.
A son retour dans l'appartement, le plan s'ouvre directement dans la chambre comme rappel du malaise que la scène du jogging aurait voulu effacer. Il ne reste que des draps défaits et un Brandon épuisé. Le jump cut met alors en place la tentative du personnage à retrouver son intimité en changeant les draps "souillés". Le cadre change pour un plan rapproché taille en plongé sur Brandon, essayant de s'endormir et surpris par l'arrivée de Sissy dans son lit, se plaignant d'avoir froid. Il l'a rejetté après 3 sommations, la dernière en hurlant. C'est ici que nous pouvons mettre en avant cette dualité qui oppose ce frère et cette soeur. Tous deux tentent de partager un moment de quiétude dans ces draps blancs, ironie d'une certaine pureté fantasmée par ces 2 êtres en souffrance (Sissy dépeinte comme dépressive morbide). Le rapprochement est impossible et naît de cette déception un échange fait dans la véhémence et la blessure; elle en ayant un rapport sexuel avec le patron de Brandon dans son propre lit. Et lui par la violence dans sa voix et la crispation de son corps. Cependant, si cette fois-ci, il semble résoudre son problème par la parole, il ne faut en aucun cas oublier que son autorité ne prend effet qu'à la troisième réprimande ("Get out of my room"). La fuite de Sissy n'intervient qu'au moment où il cumule les mots avec la gestuelle, démontrant l'unique résolution par l'expression physique le caractérisant. Il faut se rappeler la séquence du jogging qui résonne dans cette scène, plus précisément dans la composition du prélude de Bach. Le sytème de "fugue", vu prédédemment, repose sur une superposition de lignes mélodiques distinctes. cette notion est d'autant plus intéressante car elle dévoile justement ce que Brandon et Sissy n'arrivent pas accomplir ; trouver une fraternité (superposition) dans leurs conflits distincts (lignes mélodiques). Il leur est alors impossible de parvenir à ce que Bach nomma pour son recueil de préludes, au Clavier bien tempéré, où 2 sortes d'instruments doivent se tempérer pour trouver une harmonie; Brandon essayant de réprimer sa dépendance au sexe et Sissy de trouver une justesse dans son comportement bipolaire (passant d'objet sexuel à petite fille fragile).
Par sa caméra, jouant sur l'opposition de la proximité et de la distance, Steve McQueen arrive, par un style clinique et froid, à montrer la naissance de la honte dans certains de nos actes. Ce "Shame" est alors un parfait exemple de ce qu'une personne peut éprouver face à une quelconque addiction. Tout d'abord dans la frustation et les doutes, et les conséquences que cela crée auprès des autres et de la famille. Ce Brandon ne vit qu'à travers l'angoisse de cet affect sexuel et l'angoisse d'une inquiétude morale sur son avenir dans une société qui le marginalise. Une vie nous poussant dans les bras d'une solitude moderne et éprouvante !!!
STEVE MCQUEEN